L’islam et la (non)violence

On a beaucoup écrit sur le lien entre l’islam et la violence. Hélas, cette littérature se compose en grande partie de vulgaires pamphlets islamophobes. Des personnes comme Pamela Geller et Daniel Pipes se sont lancés dans une croisade contre l’islam qu’ils invectivent à longueur de temps. Des chrétiens évangéliques célèbres tels Pat Robertson et Franklin Graham ont parlé de l’islam dans les termes les plus grossiers qui soient. Certains politiciens ont adhéré – plus ou moins – subtilement aux préjugés antimusulmans largement partagés par leurs sympathisants [1][1]La supposée appartenance du président Obama à la religion…. Hollywood et la télévision ne sont pas en reste. La lumière du projecteur braqué sur l’islam et la violence n’a pas été atténuée par les conflits qui sévissent à travers le monde et les complots terroristes – pour la plupart déjoués – aux États-Unis.

2Ce battement de tambour colportant des nouvelles hostiles aux musulmans a eu un profond impact. Un sondage effectué en septembre 2007 a révélé que 35 % des Américains avaient une perception « négative » des musulmans. En août de la même année, un sondage mené conjointement par le Financial Times et l’Institut Harris Poll a montré que 21 % des Américains considéraient que la présence des musulmans sur leur sol constituait une menace pour la sécurité nationale, tandis qu’un cinquième des sondés répondaient qu’ils n’en étaient « pas sûrs ».

3Pire encore, une enquête de usa Today et de l’Institut Gallup a révélé en 2006 que 39 % des Américains souhaitaient que l’on attribue aux citoyens de religion islamique des pièces d’identité distinctes. Elle a également montré que près de la moitié des sondés avaient le sentiment que les musulmans sont des intégristes. Près d’un quart des personnes interrogées ont déclaré qu’elles ne voudraient pas d’un musulman pour voisin. Moins de la moitié pensaient que les musulmans feraient preuve de loyauté envers les États-Unis. Néanmoins, les opinions positives augmentaient chez ces citoyens américains qui déclaraient connaître personnellement un musulman.

4Ce sont des chiffres étonnants qui minimisent peut-être le problème, l’honnêteté des gens face aux sondeurs sur des sujets aussi sensibles étant sujette à caution. D’ailleurs, de telles opinions ne vont pas en s’estompant. Une enquête du Washington Post et d’abc réalisée en avril 2009 a confirmé que 48 % des personnes interrogées avaient une vision négative de l’islam. Presque trois Américains sur dix pensent que l’islam encourage la violence contre les non-musulmans, opinion qui a redoublé un an après. Le problème de perception perdure. Un sondage réalisé à nouveau par usa Today et l’Institut Gallup en mars 2011 a révélé que près de trois Américains sur dix pensent que les américains musulmans sont indulgents envers Al-Qaeda, un chiffre surprenant étant donné que cette organisation est sans doute l’entité la plus vilipendée au monde.

5De tels préjugés ont parfois eu de graves répercussions. Les sentiments anti-arabes et antimusulmans ont été à l’origine du meurtre de plusieurs personnes aux États-Unis. De nombreuses mosquées ont été profanées ou vandalisées. Dans le même temps, on a assisté à des protestations massives et violentes contre les projets de centres islamiques partout à travers le pays (la plus célèbre étant la mobilisation contre la construction du centre interreligieux de Manhattan, à deux pas de Ground Zero).

6Cette méfiance s’est manifestée au niveau officiel. Ainsi, par exemple, la police de New York a lancé une opération massive d’espionnage des établissements musulmans et des centres religieux. En octobre 2009, quatre membres du Congrès ont tenu une conférence de presse pour accuser publiquement une importante organisation musulmane de placer des espions au sein du Congrès. Des juristes du parti républicain ont mené des campagnes pour une loi anti-Sharia dans plusieurs États, montant en épingle un problème inexistant. Le président de la commission pour la sécurité intérieure Peter King a tenu une série d’auditions visant expressément des Américains musulmans. Et pour ne prendre qu’un exemple scandaleux de profilage religieux, la représentante du Minnesota Michele Bachmann et quatre autres magistrats républicains ont accusé en 2012, sans aucun fondement, Huma Abedin, une assistante personnelle d’Hillary Clinton, d’avoir des liens avec les Frères musulmans et a demandé au Département d’État d’enquêter à son sujet.

7Même des membres du Congrès n’ont pas été épargnés par de pareilles accusations. Keith Ellison, le premier Américain musulman élu au Congrès, a essuyé des critiques. La blogosphère de droite l’a accusé d’être un radical déguisé. Deux ou trois des confrères d’Ellison ont même raillé leur nouveau collègue. Un membre de la Chambre des représentants élu en Virginie, Virgil Goode, a affirmé dans une lettre adressée à des centaines de votants que l’élection d’Ellison constituait une menace pour les traditions du pays. Un autre membre du Congrès, l’élu de l’Idaho Bill Sali, a ajouté qu’avoir un musulman parmi les membres du Congrès ne correspondait pas à ce qu’avaient envisagé les Pères fondateurs.

8« Il est devenu bien plus admissible d’affirmer que la foi musulmane rend les gens violents », a écrit The Economist. « Il existe des raisons politiques comme théologiques qui expliquent pourquoi les débats occidentaux sur la nature de l’islam sont si tendus. Si on peut montrer que l’islam lui-même est antiliberté et pro-violence, il sera plus aisé de ne pas tenir compte de l’opinion musulmane au moment de prendre des décisions politiques. Si on peut prouver que “ils nous haïssent quoi qu’on fasse”, tous les efforts pour ménager la sensibilité islamique sont parfaitement vains » [2][2]Éditorial du 17 avril 2008, « Debates on Muslim Grievance Are….

9Il n’a jamais été aussi important de comprendre l’islam et ses partisans. Selon une étude du Pew Research Center – un think tank américain – environ une personne sur quatre au monde pratique la religion musulmane. On dénombre plus d’un milliard et demi de musulmans à travers le globe, ce qui classe l’islam en deuxième position derrière le christianisme comme religion implantée à l’échelle mondiale. Contrairement aux idées reçues, deux musulmans sur trois sont asiatiques et non pas arabes. Étonnamment, ils s’élèvent à 38 millions en Europe (qui occupe le neuvième rang à l’échelle mondiale) pour 2,5 millions d’Américains musulmans. « L’étude du Pew Forum dépeint la deuxième religion au monde comme complexe et nuancée, remettant en question la notion selon laquelle sa trajectoire serait définie par une minorité d’islamistes », signale le journal britannique The Guardian (Beaumont 2009).

10Par la nature même de la couverture médiatique dont ils ont bénéficié, les actes violents perpétrés par quelques fanatiques ont dominé l’espace public. Trop rares ont été ceux qui se sont demandé s’il existe des caractéristiques dans l’islam qui le rendent compatible avec la non-violence et s’il existe des exemples dans l’histoire – en particulier moderne – qui le prouvent.

11Il faut combler cette lacune. Il est urgent de dissiper le stéréotype injustement attaché à l’islam et qui le dépeint, lui et ses adeptes, comme intrinsèquement violent. Ma recherche s’efforce de démentir ces perceptions erronées de l’islam en montrant que cette religion possède une riche tradition non-violente.

12La non-violence devrait être la voie à emprunter quelle que soit l’affiliation religieuse. Elle se situe évidemment au sommet de la sphère éthique. Mais la résistance non-violente ne constitue pas seulement un choix moral supérieur, elle est aussi deux fois plus efficace que la résistance violente. Telle est la découverte surprenante et rassurante de Maria Stephan et Erica Chenoweth, qui ont analysé pas moins de 323 campagnes de résistance – un chiffre impressionnant – menées de 1900 à 2006 : « Nous avons constaté que les grandes campagnes non-violentes ont été couronnées de succès dans 53 % des cas contre 26 % pour celles qui avaient choisi la violence », déclarent les coautrices dans la revue International Security (Stephan and Chenoweth 2008 : 7).

13La raison qui préside au choix de la non-violence devient ainsi plus simple : elle est beaucoup plus efficace que son équivalent opposé comme moyen de changement social, sans parler du fait que c’est une option honorable. Il va sans dire que pour les musulmans aussi la non-violence serait la meilleure façon d’agir. Mais les adeptes de l’islam ont-ils décidé d’emprunter cette voie ? Le débat commence avec le nom même de la religion. Est-ce que l’islam signifie que l’on se soumet à la paix, comme le prétendent les défenseurs de la religion ? Ou bien est-ce l’instauration de la paix à travers la soumission à la volonté de Dieu, ce qui signifie tout autre chose ? La salutation musulmane traditionnelle est « As-salâm’aleïkoum » : que la paix soit sur vous. Dans les faits, la religion obéit-elle à cette formule ?

Pin It on Pinterest

error: Content is protected !!